samedi 16 janvier 2010

De Nicolas Berdiaeff...


L'origine de l'autorité est monarchique, et non pas démocratique ; elle provient du culte du héros. Vos conceptions de la nature de l'homme et du monde sont fausses. Positivistes, matérialistes et rationalistes, qui ne croyez en rien d'élevé, vous tombez dans un optimisme doucereux, dans une idéalisation tout en rose lorsqu'il s'agit de la nature primordiale de l'homme et de la société humaine. Vous ne voyez pas le mal là où il est, dans la profondeur de la nature initiale de humaine, en oubliant la bestialité chaotique dont parle d'ailleurs la science positive dont vous reconnaissez les bienfaits et, par conséquent, vous l'imputez à la formation de l'Etat, aux différenciations sociales ou aux inégalités qui ont permis la culture. Jean-Jacques Rousseau, l'un de vos maîtres, a inventé la théorie absurde du contrat social. Il l'avait fondée sur une conception optimiste et candide de l'homme naturellement bon et sans péché, hypothèse exactement contraire à tout ce qu'enseignent tant la religion que la science. Toutes les unités organiques y étaient décomposées, la société humaine y était atomisée, et la reconstitution de la société et de l'Etat était fonction d'une somme mécanique des atomes. Ainsi l'on fait d'abord dépendre l'Etat de l'arbitraire de l'homme, puis l'on fait dépendre l'homme de celui de l'Etat. Il y a là une contradiction dévastatrice. L'identification de l'Etat et de la société qu'affirme la théorie du contrat social et de la souveraineté du peuple conduit à un despotisme total. En vérité, l'Etat est moins despotique que la société qui prétend devenir l'Etat. L'on nie les racines religieuses de celui-ci, qui sont indépendante de la volonté et de l'arbitraire humain, mais l'on affirme alors l'autorité illimitée de l'Etat-société sur l'homme. La théorie de Rousseau est un suicide de l'homme par rapport à l'homme, et non plus par rapport à des principes qui lui sont supérieurs.


in DE L'INEGALITE de Nicolas Berdiaeff,
traduction Constantin et Anne Andronikoff,
aux remarquables Editions L'Age d'Homme,
Lausanne 1976.