Le Secret d'Amour.
Laissez-moi vous faire une demande. Dites, Seigneur, pendant ces longues heures de la croix, que vous attendiez de mourir, dites-moi à quelle chose vous pensiez.
Jésus. - Je pensais à toi.
- Oui, Seigneur, je le sais, votre regard m'a vu. Mais qui suis-je dans la foule de ce monde, et vous avez regardé tant d'autres que moi.
Jésus. - Je te voyais seul.
- Mais alors, sans doute, vous m'avez aperçu d'un regard lointain, comme une vision qui s'évanouit entre mille. Dites-moi le moment où vous avez eu cette pensée de moi.
Jésus. - Je l'ai toujours.
Et que faisiez-vous, Seigneur, pendant vos longues heures de la croix ?
Jésus. - Je m'offrais à toi.
- Seigneur, je le sais, mais ne faisiez-vous pas d'autres offrandes ? Dites-moi la goutte de sang que vous avez versée pour moi ; je la recueillerai et la posséderai.
Jésus. - Je versais pour toi tout le ruisseau.
- Quoi, Seigneur, tout le sang, alors qu'il eût suffi d'une goutte ?
Jésus. - Mon sang, mon âme et mon corps.
- Et les autres, enfin, que leur réserviez-vous ?
Jésus. - Je suis à toi tout entier.
Seigneur, dites-moi encore ceci. Pendant ces heures, dites-moi de quoi vous avez le plus souffert.
Jésus. - De toi.
- Hélas, Jésus, vous portiez les péchés de tous, leur poids s'accumulait ; mais dites-moi de quelle épine j'ai percé votre front.
Jésus. - De toutes.
- Quoi, Seigneur, et c'est moi aussi qui vous ai flagellé, et moi qui vous ai cloué, et moi qui vous ai tué ? Et les autres, alors, qu'ont-ils fait ?
Jésus. - Toute ma passion, c'est toi.
- Mon Sauveur, votre âme n'était-elle pas alors dans la détresse et la crainte. Dites-moi ce que vous avez redouté le plus ?
Jésus. - Te perdre.
- Oui, Seigneur, je le sais, les âmes perdues rendent votre passion inutile. Mais, dites, le nombre de ceux qui se perdent est-il grand ? Le plus grand nombre n'est-il pas celui des élus ?
Jésus. - Si je te perd, j'ai tout perdu.
- Mais encore, Seigneur, que vouliez-vous, que désiriez-vous le plus à ce moment là ?
Jésus. - Te sauver.
- Vous mourriez pour tous les hommes et vous aviez soif de les sauver tous. Pour tant d'hommes qui causaient cette soif ardente, un seul eût-il pu vous désaltérer ?
Jésus. - Je n'ai soif que de toi.
- Seigneur, quel mystère ? Quoi, moi même, moi seul, si je me perds, je rends votre passion inutile ; si je me sauve, je vous ôte tout regret d'avoir souffert ? Et les autres, quelle part apporteront-ils à votre victoire ?
Jésus. - Ma victoire, c'est toi.
- Et si je le fais, Seigneur, si je vous fais victorieux, quelle part de victoire me donnerez-vous ?
Jésus. - Je te la donnerai toute.
- Ah, Seigneur, maintenant je commence à comprendre, et j'entrevois le secret de votre amour singulier. Dites ce qu'il faut que je fasse pour vous.
Jésus. - Aime-moi seul.
- Je n'aime que vous, mais quel don d'amour apporterai-je ?
Jésus. - Donne-moi tout.
in MYSTIQUE DE LA TERRE de Victor Poucel,
tome VI, imprimatur 1945.
tome VI, imprimatur 1945.