Voici, par André Murcie, la remarquable présentation du livre de Luc-Olivier d'Algange, paru aux éditions Arma Artis pendant l'été 2009 :
FIN MARS. LES HIRONDELLES
Pas une nuée, à peine douze, que le maître oiseleur Luc-Olivier d'Algange a laissé sortir de sa cage à merveilles. Onze oiseaux de bon augure et d'annonce nouvelle partis de notre dextre, et l'ultime thuhéenne, celle qui clôt le vol vers le soleil de l'être et revient se percher sur le poing qui l'a libérée, en guise de reconnaissance. Il ne faut point l'oublier, dans l'empyrée platonicienne toute connaissance n'est qu'une réminiscence d'un savoir perdu mais toujours à portée de main. Il suffit d'offrir sa paume à la lumière et de lire les immémoriales lignes de notre destin inscrites dans le ciel de notre chair.
De Joubert à Julien Gracq, comme un survol de cette France littéraire que Luc-Olivier d'Algange nomme Aurélienne, et les migrations lointaines vers les rivages soufis d'Orient, et les visites à cette Europe secrète éparpillée des terres allemandes aux plaines d'Agentine. Mais la géographie n'est qu'un leurre exotique aussi trompeur et inutile que les affres du temps. Il importe peu que se soient écoulés des siècles entre notre modernité et Azîzodîn Nasafi.
Ces hirondelles ne se veulent ni entreprise de pointage ni catalogue de diversités pittoresques. Le Temps et l'Espace ne sont que les écailles rugueuses de l'Ici et Maintenant crocodilesque du monde. C'est l'écume évanescente de la sensation qu'il faut savoir saisir, l'instant éternel et le point concentrique de notre présence. Il n'est qu'un seul chemin possible qui mène à l'arôme de la rose tutélaire des vents contraires.
De cercle en cercle, d'heure en heure, dans la seconde des douze coups de minuit dont les battements non aléatoires déterminent la figure idéelle d'un Lieu neutre et absolu d'une révélation métaphysique totale, l'herméneutique d'algangienne déploie les anneaux fastueux de sa nuptiale compréhension des choses et des hommes.
Les choses n'ont guère bougé depuis des milliers d'années, car la profonde nature de l'atome philosophique, cet autre nom du noumène alchimique, ne saurait changer. Par contre les hommes ont perdu cette mystérieuse osmose physique qui les reliait naturellement - pour parler comme Cicéron - au mystère des choses.
La gnose d'algangienne se déploie donc aussi comme une acerbe critique de la modernité. Luc-Olivier d'Algange nous tend les fragments brisés du miroir que les Titans utilisèrent pour captiver Dionysos et le déchirer en mille morceaux. Il nous conte comment nos contemporains s'y mirant, y retrouvent la raisonnable médiocrité de leur âme morcelée et se permettent du coup de s'imaginer qu'ils possèdent l'oeil limpide d'Apollon. Haro sur l'arrogance de l'Homme Moderne atteint de la manie des manigances !
Mais il convient peut-être d'éclairer cette gnose si obscure à l'entendement des hominiens. La gnose c'est l'allégeance sans le maître, la fidélité sans l'épouse, la foi sans le dogme, la tradition sans la prescription ce qui ne signifie pas que l'esclave est libre, que l'infidèle ne se trompe pas lui-même, que celui qui ne sait rien ne croît pas savoir qu'il ne sait rien, que les rites ne sont pas opératoires.
La gnose est recueillement de la multiplicité du monde. La gnose ne recherche point l'inconnaissance de tous bouquets, mais s'absente en confectionnant la plus belle des gerbes. La gnose vise à l'unicité attentatoire de sa propre action sur le monde. Quelque part sous le dessous des choses il existe un lieu, un dieu, un mieux, qui soutient le monde comme le squelette la chair, comme l'énergie le corps. Ce n'est pas une leçon dont il faut épeler les lettres mortes, mais un enseignement de soi-même à soi-même qu'il convient non de suivre mais de précéder tout en en procédant.
La gnose d'Algangienne est un fabuleux équilibre, sur le fil tendu de l'action littéraire, entre l'abîme sans fond et indéterminé de l'érudition gratuite et la geste signifiante d'une lecture pétrie d'intelligence. Luc-Olivier d'Algange n'explique pas l'oeuvre de ses glorieux devanciers, il en montre les articulations les plus subtiles. Il ne s'agit pour lui ni d'encenser ni de critiquer férocement, mais d'être comme la pythie héraclitéenne qui ne niait ou n'affirmait jamais mais engendrait du sens, encore plus pur que celui dévoilé par trop négativement par Socrate.
Il y a certe une terrible contradiction dans l'herméneutique d'algangienne, mais toute en l'honneur de son auteur. Ce point focal d'appui du monde, cette unicité germinative dont il démontre avec tant d'excessive finesse la nécessité opérative ne réside pas en l'ailleurs de l'oeuvre d'Algangienne. L'exotérisme d'algangien n'existe pas, l'unité platonicienne du beau, du bon et du juste démontrée par l'analyse métaphysique se réalise dans l'ésotéricité de l'oeuvre même. En d'autres termes, chez d'Algange le dehors et le dedans de l'oeuvre coïncide parfaitement. Si elle parle de beauté c'est parce qu'elle est déjà belle en elle-même.
Magnificence du style et finesse de l'analyse diront les uns. Ils n'auront point tord mais avec cette nuance élective, que chez d'Algange le discours engendre sa propre justesse. L'unité tant vantée et tant recherchée de la trinité christo-platonicienne est totalement résolue par l'oeuvre même qui la cherche. La langue d'Algangienne atteint sa propre hypostase plotinicienne. Bouche d'or celle qui ne se contente pas de dire mais qui est la vérité qu'elle recherche.
Et même si elle se trompait, même si elle n'était que la tautologie de ses propres hypothèses, ses dires n'en serait pas moins précieuse car si l'oeuvre de Luc-Olivier d'Algange témoignait de sa seule beauté, de par cela même et par la force physique des choses à être ce qu'elles sont elle témoignera de la beauté du monde.
Fin Mars. Les Hirondelles de Luc-Olivier d'Algange ne fait pas le printemps. Il est le printemps. Nous sommes en présence d'une des très rares écritures actuelles qui puisse se prévaloir du qualificatif orphique. D'une qualité qu'il faut préciser de consubstantielle. Ce livre fait d'emblée parti de la couronne d'orgueil de la littérature française. Ces deux derniers mots étant ici à entendre en le sens de grande littérature.
De Joubert à Julien Gracq, comme un survol de cette France littéraire que Luc-Olivier d'Algange nomme Aurélienne, et les migrations lointaines vers les rivages soufis d'Orient, et les visites à cette Europe secrète éparpillée des terres allemandes aux plaines d'Agentine. Mais la géographie n'est qu'un leurre exotique aussi trompeur et inutile que les affres du temps. Il importe peu que se soient écoulés des siècles entre notre modernité et Azîzodîn Nasafi.
Ces hirondelles ne se veulent ni entreprise de pointage ni catalogue de diversités pittoresques. Le Temps et l'Espace ne sont que les écailles rugueuses de l'Ici et Maintenant crocodilesque du monde. C'est l'écume évanescente de la sensation qu'il faut savoir saisir, l'instant éternel et le point concentrique de notre présence. Il n'est qu'un seul chemin possible qui mène à l'arôme de la rose tutélaire des vents contraires.
De cercle en cercle, d'heure en heure, dans la seconde des douze coups de minuit dont les battements non aléatoires déterminent la figure idéelle d'un Lieu neutre et absolu d'une révélation métaphysique totale, l'herméneutique d'algangienne déploie les anneaux fastueux de sa nuptiale compréhension des choses et des hommes.
Les choses n'ont guère bougé depuis des milliers d'années, car la profonde nature de l'atome philosophique, cet autre nom du noumène alchimique, ne saurait changer. Par contre les hommes ont perdu cette mystérieuse osmose physique qui les reliait naturellement - pour parler comme Cicéron - au mystère des choses.
La gnose d'algangienne se déploie donc aussi comme une acerbe critique de la modernité. Luc-Olivier d'Algange nous tend les fragments brisés du miroir que les Titans utilisèrent pour captiver Dionysos et le déchirer en mille morceaux. Il nous conte comment nos contemporains s'y mirant, y retrouvent la raisonnable médiocrité de leur âme morcelée et se permettent du coup de s'imaginer qu'ils possèdent l'oeil limpide d'Apollon. Haro sur l'arrogance de l'Homme Moderne atteint de la manie des manigances !
Mais il convient peut-être d'éclairer cette gnose si obscure à l'entendement des hominiens. La gnose c'est l'allégeance sans le maître, la fidélité sans l'épouse, la foi sans le dogme, la tradition sans la prescription ce qui ne signifie pas que l'esclave est libre, que l'infidèle ne se trompe pas lui-même, que celui qui ne sait rien ne croît pas savoir qu'il ne sait rien, que les rites ne sont pas opératoires.
La gnose est recueillement de la multiplicité du monde. La gnose ne recherche point l'inconnaissance de tous bouquets, mais s'absente en confectionnant la plus belle des gerbes. La gnose vise à l'unicité attentatoire de sa propre action sur le monde. Quelque part sous le dessous des choses il existe un lieu, un dieu, un mieux, qui soutient le monde comme le squelette la chair, comme l'énergie le corps. Ce n'est pas une leçon dont il faut épeler les lettres mortes, mais un enseignement de soi-même à soi-même qu'il convient non de suivre mais de précéder tout en en procédant.
La gnose d'Algangienne est un fabuleux équilibre, sur le fil tendu de l'action littéraire, entre l'abîme sans fond et indéterminé de l'érudition gratuite et la geste signifiante d'une lecture pétrie d'intelligence. Luc-Olivier d'Algange n'explique pas l'oeuvre de ses glorieux devanciers, il en montre les articulations les plus subtiles. Il ne s'agit pour lui ni d'encenser ni de critiquer férocement, mais d'être comme la pythie héraclitéenne qui ne niait ou n'affirmait jamais mais engendrait du sens, encore plus pur que celui dévoilé par trop négativement par Socrate.
Il y a certe une terrible contradiction dans l'herméneutique d'algangienne, mais toute en l'honneur de son auteur. Ce point focal d'appui du monde, cette unicité germinative dont il démontre avec tant d'excessive finesse la nécessité opérative ne réside pas en l'ailleurs de l'oeuvre d'Algangienne. L'exotérisme d'algangien n'existe pas, l'unité platonicienne du beau, du bon et du juste démontrée par l'analyse métaphysique se réalise dans l'ésotéricité de l'oeuvre même. En d'autres termes, chez d'Algange le dehors et le dedans de l'oeuvre coïncide parfaitement. Si elle parle de beauté c'est parce qu'elle est déjà belle en elle-même.
Magnificence du style et finesse de l'analyse diront les uns. Ils n'auront point tord mais avec cette nuance élective, que chez d'Algange le discours engendre sa propre justesse. L'unité tant vantée et tant recherchée de la trinité christo-platonicienne est totalement résolue par l'oeuvre même qui la cherche. La langue d'Algangienne atteint sa propre hypostase plotinicienne. Bouche d'or celle qui ne se contente pas de dire mais qui est la vérité qu'elle recherche.
Et même si elle se trompait, même si elle n'était que la tautologie de ses propres hypothèses, ses dires n'en serait pas moins précieuse car si l'oeuvre de Luc-Olivier d'Algange témoignait de sa seule beauté, de par cela même et par la force physique des choses à être ce qu'elles sont elle témoignera de la beauté du monde.
Fin Mars. Les Hirondelles de Luc-Olivier d'Algange ne fait pas le printemps. Il est le printemps. Nous sommes en présence d'une des très rares écritures actuelles qui puisse se prévaloir du qualificatif orphique. D'une qualité qu'il faut préciser de consubstantielle. Ce livre fait d'emblée parti de la couronne d'orgueil de la littérature française. Ces deux derniers mots étant ici à entendre en le sens de grande littérature.
André Murcie
in LES FLECHES D'OR (N°9), B.P. 65 77484 PROVINS CEDEX.
in LES FLECHES D'OR (N°9), B.P. 65 77484 PROVINS CEDEX.