Insignifiante par définition, l'opinion relève de la croyance, mais d'une croyance imposée de l'extérieur et d'ordre presque mécanique. L'individu moderne possède l'opinion précise qui le dispensera le mieux d'être livré à l'exercice difficile de la pensée. Nous savons, ou nous devrions savoir, depuis Platon, qu'avoir "ses opinions", c'est ne pas penser. Ce n'est pas même commettre une erreur, se fourvoyer, succomber à quelque maladresse fatale ; c'est tout simplement ne pas tenter l'aventure de la pensée. On peut à bon droit reprocher à certaine formes de démocratie d'avoir favorisé de façon démesurée cette outrecuidance de l'opinion, cette prétention de la non-pensée a s'ériger en doctrine. Et il n'y a pas lieu de s'étonner que la plus ancienne démocratie connue fit condamner Socrate, auteur de tant de subtiles maïeutiques ! Si la mesure quantitative des "opinions" suffisent à créer une légitimité, toute autre forme de pensée ne saurait en effet apparaître que rivale et dangereuse.
in Le Songe de Pallas de Luc-Olivier d'Algange, aux Editions Alexipharmaque, 2007.