dimanche 12 juillet 2009

Sur "LES LIVRES" par le remarquable Maurice Zundel...



"Nathanaël, quand aurons-nous brûlé tous les livres" ?
Rien ne m'est plus étranger que cette boutade de Gide dans les Nourritures terrestres. Je dirais plutôt, avec Sartre, que je "nais de l'écriture", en l'entendant, bien sûr, des livres des autres, tandis que l'auteur "des mots" compte naître des siens.

Ce n'est pas que je retienne grand-chose de tous les livres que j'ai lus. Il ne m'en reste guère, la plupart du temps, que l'invitation à mettre en doute presque tout ce qui m'a été enseigné. Ils m'apprennent surtout à "désapprendre", selon le mot savoureux de Péguy et à suspendre mon jugement sur un nombre incalculable d'affirmations énoncées comme allant de soi. Ce qui m'oblige à recourir sans cesse au sources, pour autant qu'elles me sont accessibles. Ce n'est pas sans profit et cela donne lieu parfois à d'heureuses surprises.

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Avec eux (les livres), aucune difficulté d'avouer mon ignorance, aucune nécessité d'aboutir à une conclusion, aucune mise en demeure de prendre parti avant qu'une conviction ait mûri spontanément, dans "les chambres secrètes" du coeur et de l'esprit. Avec eux, on peut, chaque matin, se remettre à l'école et faire un nouveau départ - a fresh start - dans un monde tout neuf.
Ils nous rendent, en effet, contemporains de tous les âges et de tous les génies, ils nous délivrent de notre insularité en nous initiant à d'inusuelles problématiques qui complètent et relativisent la nôtre et en nous confrontant avec d'autres mentalités, d'autres échelles de valeur, qui nous invitent à une salutaire auto-critique. Ils ne forcent jamais notre attention, nous laissant libres de leur donner audience ou de leur donner congé : ils nous induisent au silence qui est le maître des maîtres, puisqu'ils nous enseignent sans parler.

"Le pays de la vérité", notre vraie patrie, c'est vers lui qu'ils aspirent, vers lui qu'ils nous conduisent par cette traction qui les entraîne, de la circonférence où leurs disciplines se segmentent, vers le Centre où éclate pour tous "la même joie de connaître", dans la communion à cette Présence qui est la Vérité en Personne : que nul ne peux dire mais que chacun reconnaît, dès qu'empli de sa lumière, il devient libre de soi.


in HYMNE A LA JOIE, Maurice Zundel, Editions Ouvrières, 1965.