dimanche 12 avril 2009

Sur le Grand Jeu...



... Quand Daumal dit que "nous sommes religieux , religieux à nous faire tuer" ce n'est pas un simple mot. C'est le cri de révolte d'un jeune homme qui a le sens du sacré dans l'acception la plus absolue du mot. Et s'il y a révolte c'est en regard du monde où vivait Daumal, où nous vivons encore. Dieu n'est plus en l'homme et l'homme n'est plus en Dieu. La Révélation primitive de Dieu, la toute-puissance de sa Parole se trouve estompée dans le lointain, se trouve surtout trahie à tous moments et par toutes les religions qui ont accumulé les dogmes, les théologies, les exégèses pour étudier les attributs de Dieu. René Daumal et Lecomte demandent donc le retour à la Révélation primitive, le retour à la Parole originelle, qui s'est notamment manifestée dans les Védas, les plus anciens textes religieux qui nous soient parvenus. Et si le Grand Jeu en appelle à la Révélation-Révolution, c'est bien parce que ce retour aux origines ne peut être fait sans une violente révolution.
Là est le souffle premier du Grand Jeu. L'essence métaphysique du monde est proclamée avec virulence en un temps où le rationalisme positiviste tient le haut du paré et conditionne toute pensée. La philosophie du Grand Jeu est essentiellement non-dualiste. C'est l'accent ici qui fait encore une fois la nouveauté et la force d'une affirmation traditionnelle. Dire et ressentir avec tout son être l'unité du Tout, du microcosme et du macrocosme, montrer qu'il n'y a jamais dualité nulle part, mais toujours le même visage, mais toujours l'identité des contraires, c'est là aussi faire sortir une vieille pensée de ses ornières et demander pour elle une force immédiate d'incarnation et de vie.

Michel Random in HERMES 5 (1964-1967).