MANGER LA PAROLE
Je crois que la Parole biblique, comme le poème, résiste à toute analyse : cette résistance est même le gage de son inépuisable fécondité. La multiplicité des approches - par le jeux des figures et des assonances, par la diversité des mises en situations, par le rythme du texte ou par son chant - fait rebondir cette Parole comme une gerbe de flammes, un feu d'artifice, un buisson ardent. Elle s'offre alors comme une expérience illuminatrice, fécondante et nourricière. Ce n'est pas pour rien que les auteurs spirituels d'autrefois parlaient de "manducation" de la Parole, pour exprimer leur bouche à bouche, leur coeur à coeur avec elle : la manger, la dévorer n'était pas pour eux une simple image, mais une réalité quotidienne. Car la Parole se goûte, se mâche, se savoure, et l'affamé la dévore. Elle remplit la bouche, elle prend voix, elle se chante et se déclame, elle devient rythme de l'être et se fait danse, pour nous faire entrer en corps à corps avec le Verbe. Telle est la relation nuptiale, lyrique, que la liturgie instaure avec la Parole. Celle-ci est comme un suc ou un miel que l'homme de prière extrait du texte. Les Anciens parlaient aussi de "fruition" pour dire le bonheur qu'ils trouvaient dans la Parole, leur joie de la recevoir et de la méditer. C'est pourquoi ils aimaient la "cantiler", la murmurer et la moduler comme un chant d'amour... comme le petit enfant récite sa prière. Il n'y avait là pour eux nulle incitation à prouesse de chantre ou d'écolâtre, mais une sorte de respiration, un accomplissement et un bonheur : celui, tout simplement, d'entendre la Parole de Dieu dans leur vie et de faire entrer leur vie dans cette Parole.
in "Une Eglise condamnée à renaître.
Entretiens avec Philippe Baud",
par le Père André Gouzes,
paru en 2001 aux Editions Saint-Augustin à Saint-Maurice en Suisse.
Entretiens avec Philippe Baud",
par le Père André Gouzes,
paru en 2001 aux Editions Saint-Augustin à Saint-Maurice en Suisse.