dimanche 2 mai 2010

La pierre noire dans laquelle s'enracinent les sept planètes...




Regardant au loin, je vis un grand nuage qui obscurcissait la terre toute entière. Il avait absorbé le nuage qui recouvrait mon âme. Les eaux avaient pénétré jusqu'à mon âme, putréfiées et corrompues qu'elles étaient par le spectacle des abysses infernaux, et par l'ombre de la mort : c'est que la tempête m'avait engloutie. Devant moi se courberont les habitants du désert, et mes ennemis lécheront la terre qui m'appartient. Or en ma chair il n'est rien d'intact, et le spectacle de mon iniquité a bouleversé tous mes os. C'est que je me suis épuisée à crier des nuits entières ; rauque est ma gorge. Qui donc vivra pour savoir, pour comprendre ? Il arrachera mon âme à la griffe du shéol. Ceux qui m'illuminent gagneront la vie éternelle, je leur ferai manger de l'arbre de vie placé au paradis, je leur donnerai de prendre place à mes côtés sur le trône de mon royaume. En effet : pour qui m'aura déterrée comme de l'argent, et acquise comme un trésor, pour qui n'aura pas empoisonné ma nourriture ni ma boisson, souillé dans le stupre ma couche, violé non plus mon corps entier, fort délicat, ni surtout mon âme, colombe toute belle et sans fiel, pure et sans tache, pour qui n'aura pas abîmé mes sièges et mes trônes, bref : pour celui qui d'amour me fait languir, pour celui dont l'ardeur me fait fondre, dont l'odeur me fait vivre, dont la saveur me restaure, dont le lait est la nourriture à laquelle je consens, dont l'enlacement me redonne la jeunesse, pour celui du baiser duquel je reçois le souffle de vie, pour celui dont l'étreinte amoureuse épuise tout à fait mon corps, pour lui je serai un père, le père que je placerai en tête des rois de la terre, le père que j'exalterai et auquel mon alliance, pour l'éternité, restera fidèle. Et cependant : s'il abandonne ma loi, s'il ne suit pas les chemins qui sont les miens, s'il profane mes commandements et mes préceptes, que l'adversaire s'acharne sur lui et que le fils de l'iniquité se mette à lui nuire ! Si, au contraire, il marche par mes chemins, il ne craindra pas la froidure de la neige. Toute sa maisonnée portera vêtement, byssus et pourpre. Il rira ce jour-là, et je serai rassasiée, et ma gloire se montrera. C'est qu'il aura veillé à mes sentiers et refusé de manger le pain des oisifs. C'est ainsi que se sont ouverts les cieux au-dessus de lui, et sa voix a résonné comme le tonnerre, la voix de celui qui tient sept étoiles en ses mains, les sept esprits envoyés sur toute la terre, pour prêcher et pour témoigner. Celui qui croira, celui qui sera baptisé, sera sauvé, condamné l'incroyant. Quant aux signes que porteront les croyants et les biens baptisés, les voici : au moment où le roi des cieux prononce sur eux son jugement, ils seront blancs de neige au Mont-Sombre ; les ailes de la colombe se couvriront d'argent ; les ailes de leur dos auront la pâleur de l'or. Tel sera mon fils aimé ! Regardez-le ! Il est le plus beau des enfants des hommes. Le soleil et la lune contemplent sa beauté. Il est privilège d'amour, cet héritier auquel les hommes apportent leur confiance, et sans lequel ils ne sont capables de rien. Qui a des oreilles entende ce que dit l'esprit de la doctrine aux fils de la discipline, des sept étoiles qui permettent l'achèvement de l'oeuvre divine. C'est d'elles que traite Senior dans son livre, au chapitre du soleil et de la lune, quand il dit : "Quand tu auras fabriqué ces sept métaux que tu as distingués par les sept étoiles, et que tu as dédiés aux sept étoiles, quand tu les auras neuf fois purifiés, jusqu'à ce qu'ils aient revêtu l'aspect des perles, tu auras accompli l'oeuvre du blanchiment".

in L'aurore à son lever, texte alchimique du XIIIème siècle attribué à Thomas d'Aquin,
traduction de Bernard Gorceix, éditions Arma Artis,
Paris, 1982.