lundi 11 mai 2009

De Victor HUGO, LE VISIONNAIRE, si connu et si méconnu, ce terrible texte, si lucide, si prémonitoire...


C'est sur terre qu'il faut chercher le paradis;
Laissez le ciel au ciel. L'homme, qui là-haut sombre,
Sur terre est de la vie et dans le ciel de l'ombre ;
Qu'il reste, être réel, dans la réalité.
En marche, argile ! O chair esclave, en liberté !
Debout ! debout ! debout ! Sur la terre engourdie
Allume le progrés comme un grand incendie !
Lave l'or des limons ; tire le mal du bien ;
Impose un rail de fer au sable nubien ;
Révolte-toi ! Réplique au désert par la ville ;
Les fléaux sont tyrans ; fais ta guerre servile !
Les uns sont des lions, les autres sont des porcs,
Combats, nettoie ! Et règne, et vis ! - Creuse des ports,
Perce des rocs, conduis des eaux, bâtis des voûtes,
Sur le vieux monde pris croise un filet de routes ;
Sur le globe à grands pas promène-toi, semeur
De mouvement, de bruit, de foule et de rumeur !
Entre deux coups de bec du vautour, Prométhée
A crié, par-dessus la nuit épouvantée :
Hommes, soyez titans, et remuez les monts,
Secouez la lumière aux yeux des dieux démons !
Levez-vous, levez-vous comme l'aurore blonde,
Hommes, et dieux vous-même, éblouissez le monde !
C'est-à-dire, allez droit au progrès, marchez-y
Vous avez sous vos pieds, hommes, peuple choisi,
Sous vous, sous votre esprit, sous votre destinée,
Par l'antique chaos la terre assassinée.
De cette grande morte arrachez les linceuls,
Et ressuscitez-la ! Vous le pouvez, vous seuls.
Sondez la profondeur du flot qui vous submerge ;
Violez la forêt, cette effrayante vierge ;
Peuplez, plantez, greffez, labourez, défrichez,
Eclairez, Dédaignez, sur le grand but penchés,
La rêverie ingrate, aveuglante, énervante !
La pesanteur est reine, homme, fais-la servante ;
La matière est le poids ; fais-en le portefaix ;
Réunis l'Atlantique au Pacifique ; fais
Des baisers d'océans sous tes pieds formidables ;
Coupe les isthmes ; rends les neiges fécondables ;
Sois partout, sur la terre et sur la mer, épars ;
Vivifie et transforme ; ouvre de toutes parts
Les sciences sur l'ombre ainsi que les paupières ;
Aux croupes du chaos attache des croupières ;
Sois le vivant ayant l'idéal pour labeur,
Mais l'idéal terrestre et vrai ; sois le courbeur
Terrible et rayonnant des têtes monstrueuses,
Que mordent de côté les gueules tortueuses,
Mais qui, sûr de demain qu'il tient par aujourd'hui,
Dédaigne la morsure, ayant la vie en lui..
Abats l'échafaud ! Romps les fers ! Brise les piques !
Donne aux pôles l'été ! Donne avril aux tropiques !
Sois le libérateur du globe enfin heureux !
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Laisse Dieu. Fais le monde homme. Fais-toi principe.

in "DIEU suivi de LA FIN DE SATAN", Editions Nelson