samedi 9 mai 2009

De Malcolm de Chazal...

Je ne donne pas aux mots la valeur que leur accorde le dictionnaire : je retranche ou j'ajoute à leur sens premier grâce aux directions et à l'ordonnance que j'imprime au reste de la phrase par la puissance et la nouveauté même de mes idées.
Comme le vent moule la voilure, je transmue les mots du dictionnaire, afin que, en leur donnant un sens interne de mon cru, je puisse par là mener le bateau de l'Idée vers des voies spirituelles neuves. Autrement dit, je crée des néologismes d'une part, et reconstruis les mots, de l'autre.
Prenant à revers les idées, je les déshabille en ce faisant, et c'est cela qui fait l'étrangeté de ma prose. Sans cette méthode, il m'eût été impossible de voir derrière les choses, de dévêtir la vie, d'exposer l'essence et l'âme de la nature, comme je le fais.
Que le lecteur ne voie pas dans mon style de la forfanterie ou de la suffisance, car, comme tout inspiré, ma bouche est prisonnière de mon âme, je suis l'esclave du Verbe, de même que l'eau ne peut choisir comment elle veut couler, mais obéit à la pente et au lit du ruisseau.
Dans ma prose de l'invisible, où, de chaque coin du mot surgit un fantôme, et derrière les images les plus réelles passent des paysages d'irréel, mirages d'un autre monde où une arborescence surnaturelle paraît tout à coup tel un bosquet de fées, dans ma prose hallucinée, où les mots se tendent comme des bras et les lettres ont des regards, dans cette prose qui me commande plutôt que je la dirige, où des sujets abstraits commandent à des verbes concrets, où le sujet saute sur le verbe et donne son nom même au complément, où l'adjectif est "nominatif" et où le nom "adjectivise" selon que le l'invisible se dévoile ou se pressent, où l'ordonnance des mots se bouscule comme la charrue mise avant le boeuf - dans cette prose unique, le côté étrange et révolutionnaire vient précisément de ceci que je prends l'idée à revers à tout instant.

in LA VIE FILTREE, Editions Arma Artis, 2003.