vendredi 25 mars 2011

Sur le site Ring, une riche présentation du livre d'Alain Santacreu par Maximilien Friche...


« Au cœur de la Talvera », un roman contrelittéraire d’Alain Santacreu



« Au cœur de la Talvera » (1), rassemble et ordonne des textes de la pensée la plus neuve et la plus honnête qui soit. Il s’agit de Contrelittérature. Ce nom nouveau a été créé pour saisir ce que devrait être toute démarche d’écriture et plus largement toute démarche de création. Il ne s’agit pas d’un mouvement artistique, il ne s’agit pas d’une théorie de plus, le livre d’Alain Santacreu n’est pas un exposé de thèse, mais un roman de la pensée, un monde dans lequel nous plongeons, pour mieux renaître. Par la lecture des textes de ce livre, nous sommes appelés à tout remettre en question en regard de la réponse qui nous est donnée dans la création, de toute éternité.

Entrer dans la lumière

Au début, l’étrangeté des propos peut donner l’impression de nécessiter un lexique, c’est normal car en entrant en lecture, on entre dans un monde, le monde caché dans celui là, et qui le comprend. Inutile pourtant de commencer par définir les mots, inutile de s’arrêter, de buter, puisque c’est le mot lui-même qui commence à nous lire, à nous relier au Verbe. Il est d’ailleurs bon de recommander la lecture à haute voix, pour que le son retrouve sa place au cœur de l’écrit, pour capter le rythme des phrases, pour que nos yeux accrochent chaque lettre, pour ressentir dès maintenant à quel point ce que les modernes appellent la forme fait sens tout de suite. Le livre de Santacreu est un bain, on ne lit pas, on plonge. Y’en a partout. Y’en a trop. Commencer une phrase, c’est risquer de ne pas s’arrêter avant l’autre rive. Et c’est dans la lumière bien sûr que l’on nage. On était aveugle et, maintenant on se brûle les yeux. Mourir est possible après la lecture. On savait que c’était souhaitable après l’écriture, on savait que cela pouvait être un devoir après l’écriture, on sait maintenant, que c’est possible après la lecture. Le prodige de Santacreu est d’avoir su écrire ce que l’on ne savait pas savoir, ce que l’on découvre désirer avec intensité. Contrelittérature, le mot nous semblait étrange voire ridicule, il était devenu magique après quelques phrases, et au bout de deux paragraphes il devient familier, c’était le nom caché de nos ambitions. Contrelittérature non pas comme littérature contraire mais comme contraire de la littérature (2), dans la paraphrase de Joseph de Maistre. Il s’agit de bien plus qu’un slogan, qu’une posture de dandy réactionnaire, c’est répondre à l’exigence d’exister. La démarche intellectuelle est osée dans notre monde post-moderne, et elle est salutaire. Santacreu nous emmène au-delà de l’érudition de ses propre propos, dans le monde poétique du désir de Dieu. C’est Matthieu Baumier dans sa postface qui met à jour la nature cachée de ce livre d’essai. Mais il nous faut un peu paraphraser le livre pour en parler, il nous faut un peu en faire la bande annonce. Vous découvrirez par dévoilements successifs quel est le lieu de l’écriture, cette Talvera, le lieu en bordure des champs, toujours vierge, qui permet le retournement du sillon, vers le centre, l’endroit où se croisent le sillon remontant et le sillon descendant, ce point insaisissable et qui nous aimante. C’est à cet endroit crucifiant qu’est rétablie la littérature du Sacré-Cœur. Mais pour commencer, Alain Santacreu évoque la quête du Graal, comme modèle contrelittéraire, comme patron. Il oppose d’ailleurs Perceval et Œdipe, comme les deux figures opposées de la contrelittérature et de la littérature. Mais dans le livre « au cœur de la Talvera », Alain Santacreu ne se contente pas de définir l’un et l’autre, l’un par rapport à l’autre, l’un contre l’autre. Il montre, en s’appuyant sur la dialectique de la contradictoire inspirée de Lupasco (3), qu’un équilibre rigoureux entre la littérature et la contrelittérature peut aboutir à l’apparition d’une troisième matière, résultante unificatrice de l’annihilation réciproque des contraires, cette énergie du vide qui surgit au point d’équilibre. Alain Santacreu puise régulièrement dans la Kabbale juive, les textes saints, dans Maistre, Bernanos, il révèle les icônes que sont Artaud ou Sainte Germaine de Pibrac. Voilà les noms de ceux qui sont d’abord convoqués dans le livre. Tout est ensuite récapitulé dans la contrelittérature, comme les animaux sont montés dans l’arche de Noé, le cosmos est attiré dans son ensemble vers ce pôle invisible d’attraction. On ne peut que prendre conscience que Santacreu a écrit pour sauver la création du déluge. A la question posée à l’auteur « Pour qui avez-vous écrit au cœur de la Talvera ? Et pourquoi ? », l’auteur répond que « l’enjeu de son livre, son pourquoi, se confond, avec son destinataire : le lecteur est le révélateur du livre. » Et bien voilà ce que le lecteur relié dit et révèle : ce livre écrit est une arche d’alliance.

Un roman de la pensée

Au Cœur de la Talvera n’est pas un livre d’érudit, un essai d’intellectuel, une publication de thèse, il est une aventure de la pensée. Et le livre dans son entier apparaît comme l’illustration même de cette pensée. La structure est un symbole chez Santacreu. Si nous sommes dans une aventure de la pensée, c’est que nous sommes face à un roman. Et ce roman est passionnant et nous tient d’autant plus en haleine que chaque chapitre semble se développer comme un épisode, chaque grand chapitre, comme une saison. Et toute l’aventure est déjà dite dans la première partie, cette première partie est déjà contenue dans le premier chapitre, et ce premier chapitre dans son titre : « La Contrelittérature en plein Cœur. » La structure nous rappelle celle du livre des livres, la Bible. Mathieu Baumier dans sa postface nous dit qu’Alain Santacreu est un poète. Au cœur de la Talvera est un cri de la pensée, ce qui déborde de tout temps de la tête de l’auteur, son désir. Ce livre n’est que désir. Il s’illustre dans d’infinies reconstructions, le roman est une sphère, et les épisodes de cette aventure, prennent des chemins toujours inédits. Vous trouverez l’épisode de Perceval contre Œdipe, du songe et du rêve, l’épisode des gens de l’Etre contre les gens-de-lettres, du symbole contre l’image, de l’homme intérieur contre l’inconscient, de l’idée libertaire contre l’anarchisme, l’épisode de la religieuse et la comédienne, du spectateur marionnette et l’homme machine. A chaque fois une aventure nouvelle. Et chaque morceau répète et ressasse des choses déjà lues plus tôt. On a l’impression de lire plusieurs fois le même livre en une seule lecture. Alain Santacreu enfonce le clou dans chaque fractale que sont les chapitres de ce livre. La petite musique que l’auteur initie ainsi permet en baladant ces leitmotiv de nous faire comprendre toujours les mêmes choses mais à un degré de conscience plus élevé. Ses phrases reviennent sans cesse labourer notre matière pour nous élever. La séparation moderne du fond et de la forme ne signifie rien d’autre qu’un aplatissement de l’être, qu’une vision terre à terre. Le mot fait sens dès son écriture, dès sa prononciation, c’est par la phrase que le texte commence à être un piège. La poésie de Santacreu, habilement dénichée par Matthieu Baumier constitue un raccourci dans le labyrinthe que représente le texte. Tout écrit ne peut être que poétique. Les mots ne sont pas que des mots. Les mots ne sont pas les choses. Le texte ne peut être que sacré, magique. D’ailleurs, « Au cœur de la Talvera », par son développement circulaire, nous évoque une anagramme géante, quelque chose qui se recombine sans cesse, comme les trajectoires à l’intérieur d’une sphère pour livrer une raie de la Vérité réfractée.

Tout l’Etre en question

La contrelittérature n’est pas seulement un manifeste d’écriture, un mouvement littéraire. C’est tout le contraire et bien plus. La contrelittérature irrigue toutes les sphères de l’être : il s’agit bien sûr d’un manifeste métaphysique, c’est aussi une poésie, un roman, donc un monde, c’est une ambition politique, économique, écologique. Le niveau de conscience de notre monde est à ce point élevé à la fin de la lecture de « Au cœur de la Talvera », que la contrelittérature semble comprendre le monde entier et ses chutes successives. Et cette conscience prend racine dans la conscience de la mort. Alain Santacreu a écrit tout un épisode de sa pensée sous le titre : « la mort devant soi. » (4) Rien ne peut être appréhendé avec force sans l’expérience irréductible de la pauvreté absolue, c'est-à-dire la mort. Alain Santacreu cherche à nous redonner une dignité dans les consciences auquel il nous fait accéder. Il cherche à nous extraire du matérialisme moderne où nous prenons notre psychisme pour de l’esprit comme certains des vessies pour des lanternes. « … la mondialisation, en tant qu’hégémonie planétaire de l’Etat de l’inconscience - au sens freudien du terme – annonce-t-elle le règne totalitaire de l’infra-humain » (5) Et c’est la mort qui revient nous verticaliser par la croix. Alain Santacreu nous parle finalement de bien d’autres choses que de littérature. Il pose la question de notre vie surnaturelle dans ce monde, notre capacité à dialoguer avec l’autre absolu qui est Dieu. Il s’agit de mettre tout notre être en question, d’une façon sacrificielle. C’est pourquoi le Sacré-Cœur demeure le symbole de la contrelittérature « Le Verbe est la réponse en attente de la question d’écriture » (6) Après la douche de lumière reçue par la lecture de ce livre, un découragement peut poindre au regard de l’ambition d’une telle pensée, de sa radicalité confrontée à nos tiédeurs. Existe-t-il des œuvres contre-littéraires ? Le système mercantile de l’édition permettrait-il leur apparition ? Alain Santacreu, qui trouve grâce à vos yeux ?

« Vous me demandez quels écrivains, aujourd’hui, trouveraient grâce à mes yeux ? Mais tous ceux que la grâce a touchés ! N’étant pas un lecteur très prolixe sur la littérature de nos jours, je dirai Dantec évidemment mais sans doute bien d’autres, bien plus que je n’ai su lire. Il n’y a pas d’œuvre contrelittéraire à proprement parler mais des œuvres où se joue l’antagonisme de la littérature et de la contrelittérature, cette tension que Baudelaire voyait dans le Spleen et l’Idéal. Montrer ce dynamisme antagonique primordial est devenu un « art de contrebande », ce n’est pas par inadvertance que de telles œuvres sont publiées, il faut connaître les techniques du camouflage, entrer en Résistance. »

Maximilien Friche

(1) Au cœur de la Talvera – Alain Santacreu – Editions Arma Artis – ISBN 978-2-87913-135-1
(2) Le blog Talvera : http://talvera.hautetfort.com/
(3) Au cœur de la Talvera p25
(4) Au cœur de la Talvera p133
(5) Au cœur de la Talvera p23
(6) Au cœur de la Talvera p56

Ce texte de Maximilien Friche a été présenté sur le site RING